Divers

Je me sens partir

Dimanche 16 février 2020, il fait beau, il fait bon… Le vent souffle fort, trop fort pour aller courir, surtout avec des jambes fatiguées.

J’adore l’eau, j’adore nager, en eau vive de préférence. J’ai nagé dans bien des mers et océans, des lacs. La traversée du lac du Bourget en 2017 m’a redonné le virus de la natation en eau libre. C’est extraordinaire, on est tellement petit, on peut couler comme ça, en un rien de temps. Pas comme à vélo ou en course à pied où on peut se poser et se reposer.
Notre terre est faite de 2/3 d’eau, alors, n’est-il pas naturel pour nous bipèdes décérébrés, de savoir se mouvoir en milieu aquatique, nonobstant les marées, les vagues, les courants ?

Je décide donc de filer sur le plan d’eau de Longeville à Ambronay, avec l’assentiment de Domi. Je lui dis que je serai prudent, et elle sait qu’en général je le suis. Je lui avais raconté mes expériences périlleuses en mer de Chine quand j’étais petit, pas loin de la noyade. Je lui dis que je n’irai pas trop loin du bord.

Me voici à pied d’œuvre. C’est mon spot de nage depuis l’année dernière. Maintenant je ne vais plus à la piscine. Juste à côté de l’autoroute, mais quand j’ai la tête dans l’eau, je m’imagine en mer rouge.
Un club de canoë pas loin, fermé bien-sûr. En été, une affluence populaire.
Mais aujourd’hui, pas un chat. Le vent souffle fort, le soleil brille toujours.
J’ai de l’énergie à revendre…. Et je vais exaucer un vœux ancien : nager en hiver, dehors, sortir de ma zone de confort et en ressortir rasséréné et plus fort que jamais. Je n’ai pas nagé depuis octobre, c’était au même endroit. L’eau devait être à 17°c.

Hop, je revêts la combinaison intégrale, déjà un exercice en soi, et je n’oublie pas la cagoule, surtout pas : c’est par la tête qu’on perd beaucoup d’énergie. Seuls mes pieds, mes mains et mes joues sont découverts.
Je me jette à l’eau, dans tous les sens du terme. Elle ne doit pas faire plus de 12°c… Au début c’est toujours compliqué, il faut ajuster les lunettes et bien les coller au visage, pour ne pas se retrouver aveuglé.
La première sensation est une gifle : celle de l’eau froide sur mes joues, pour le reste ça va, et l’eau qui s’insinue entre la combinaison et la peau ne me semble pas froide. Je me mets en tête de faire un aller-retour, 500m aller + 500m retour, vingt minutes, tout en longeant le bord, pas trop loin surtout. A l’aller, ça bombarde, respiration en trois temps, bonne glisse, c’est le nirvana…

Mais au bout de quelques minutes, une impression corporelle bizarre : un engourdissement du corps, les mains et les pieds comme des glaçons, les joues elles sont figées depuis longtemps…
Je fais demi-tour pour vite rentrer. C’est un calvaire, je suis contre le courant et la petite houle, je progresse difficilement, je prends conscience que la limite a été franchie. A l’aller, j’avais été porté par le vent.

Et puis, deux minutes interminables, plus ou moins ? Je n’en sais rien, le temps s’est arrêté.

J’avise le ponton du club de canoë, tout tout prêt. Mes jambes ne propulsent plus, elles plongent, sont un poids comme jamais, je sors la tête de l’eau pour respirer et appeler à l’aide, mais je sais bien qu’il n’y a personne. Mon cœur s’est arrêté de battre, on dirait. Je mets tout ce que j’ai dans la bataille, me sentant partir. Je parviens à rejoindre le ponton. Je m’y agrippe et y étale le haut du corps. Il me faut encore me hisser dessus, mais je suis mort. Alors dans un dernier élan magique, je parviens à sortir de l’eau.

Le vent souffle toujours, le soleil brille, toujours pas un chat. Je rejoins la voiture, tranquille, apaisé, rasséréné, et plus fort que jamais.

Auteur

echaume@bugey-internet.fr