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Le confinement : entre avant et après

Jeudi 12 mars
Quelques semaines déjà que le souffle du vent du virus nous parvient aux oreilles, de plus en plus proche : il vient de quelque part en Chine et pas un seul instant nous imaginons que la vague se prépare. Encore cet après-midi, alors que je faisais les courses, je serrais machinalement une paluche, voyant dans le regard du porteur de la main serrée une ostensible et légitime désapprobation à mon égard.
Aujourd’hui, les écoles, collèges, lycées, fac, sont encore ouverts. Mais on sent bien qu’il y a quelque chose qui cloche. Les cours ont repris lundi. Les gens commencent à flipper, les rayons des supermarchés sont pris d’assaut. Les réseaux sociaux s’en font l’écho. Mais bon, il y a longtemps qu’il faut savoir faire la part du vrai et du fake, pardon, du faux.
20h00, le Président de la République prend la parole pour nous annoncer que tous les établissements scolaires seraient fermés jusqu’à nouvel ordre et que des dispositions majeures seraient prises pour assurer « l’école à la maison ». Je suis sidéré : transporter des enfants est une de mes trois occupations professionnelles. Chouette, je me dis que je vais pouvoir pleinement me consacrer aux deux autres, le chronométrage de compétitions de courses à pied le we (la saison va battre son plein) et la création de sites web ainsi que le e-learning, la formation à distance. Dans le même temps, je suis déçu pour les enfants (et pour moi) de ne plus pouvoir partager ces moments confinés et si particuliers dans la voiture entre le plateau d’Hauteville et le collège de Saint-Rambert, Cathy, Alexandre, Lilian, Lucas.

Vendredi 13 mars
La fermeture des écoles sera effective lundi. Je transporte les enfants une dernière fois.
Comme j’en ai l’habitude, je vais rendre visite à Lucas, notre 2ème fils, à Brens, après un premier rendez-vous chez une homéopathe de Belley. Nous allons courir le long de la via rhona en discutant des jours à venir, des courses programmées. La nouvelle de l’annulation jusqu’à nouvel ordre de toutes les courses par la fédération d’athlétisme nous arrive entre deux frites et une saucisse, dans le flux d’un gorgeon de côte du rhône, tranquillement attablés sur la terrasse, le soleil brille.
Lucas et moi sommes fatalistes, ainsi soit-il. Nous commençons à peine à prendre conscience de la gravité de la situation. Lucas n’ira pas avec Anne-Sophie courir à Contrevoz le 4 avril et de mon côté, plus de chronos pendant au moins deux mois, un gros manque à gagner. Pas grave, nous taperons dans les réserves. Et puis, cela me donnera du temps pour achever mon récit de vie et surtout me mettre à prospecter pour vendre mes prestations de consultant e-learning en Suisse pour le compte d’un éditeur de logiciel belge (une fois). Et “last but not least”, courir encore et encore.

Samedi 14 mars
Le premier tour des élections municipales aura-t-il lieu ? La controverse a battu son plein les jours précédents. Faut-il les maintenir ou les reporter ? L’opposition considérerait un report comme un déni de démocratie et une manœuvre politique, alors l’exécutif, encouragé par les experts scientifiques, décide le maintien. Il semble y avoir unanimité.
Je suis toujours en état de sidération et me prépare mentalement à organiser les semaines à venir.
Je ne suis ni anxieux, ni angoissé : nous habitons dans un coin de paradis dans un hameau de Saint-Rambert en Bugey et j’ai l’habitude des longues journée de solitude à télétravailler avec pour seuls contacts Kamou et Neko, les deux cats.
Le soir, le premier ministre annonce la fermeture de tous les lieux rassemblant du public.
Injonction contradictoire de la part du gouvernement quand on sait que les élections sont pour demain ? Je ne supporte pas d’entendre les donneurs de leçon crier au scandale devant ce qu’ils considèrent comme une incurie. « Je vous l’avais bien dit », « Ils devront rendre des comptes », « Ils étaient en courant depuis janvier… ».
En fin de journée, comme de coutume, nous faisons un « skype » avec notre fils Hugo et sa compagne Annie. Ils habitent au Québec dans un havre de paix pas loin de Montréal. Ils attendent une petite franco-québecoise pour le 9 avril. Nous savons déjà que nous ne pourrons les rejoindre pour les vacances de Pâques, quand Trump a annoncé la fermeture des frontières américaines quelques jours auparavant. Nous les savons en sécurité dans un pays qui a largement anticipé la crise, bénéficiant du retour d’expérience de la Chine et de l’Italie notamment.
Notre fille Clara et son compagnon Mathieu sont à Berlin également confinés mais ils peuvent plus facilement sortir, notamment pour aller courir dans les nombreux parcs. Tous les deux bossent pour des plateformes internet alors le télétravail tombe d’autant plus sous le sens que ces digital native pratiquent tout naturellement les relations sociales à distance. Ils font des apéro virtuels.
Tout comme Lucas et Anne-Sophie, les grands sportifs de la famille. Dans leur jardin à Brens, Lucas a aménagé un parcours de cross et installé un home trainer. Ca permet de faire du vélo sur place. Les huskies Hitch et Iron doivent être heureux avec leur pote, le cat Grisou qui se prend pour un dog.

Dimanche 15 mars
Le temps, magnifique, contraste étrangement avec la gravité insaisissable de la situation. Je suis toujours sidéré. Domi, ma femme, et moi nous rendons aux urnes en début d’après-midi pour éviter les heures d’affluence, bulletin reçu par courrier et stylo perso en main. « A voté ». Je remercie chaleureusement les assesseurs. Les uns avec un masque, les autres non. A ce moment, on ne sait pas vraiment quels sont les types de masque, quelles sont leurs vertus, comment les utiliser….
Je passe le reste de la journée à tourner en rond à scruter frénétiquement les nouvelles et autres inepties sur facebook. La vague de la psychose pointe son nez sur le net et les donneurs de leçon commencent et/ou continuent de cracher leur venin. Maintenant, c’est à celles et ceux qui n’appliquent pas strictement les consignes qu’ils s’en prennent. La toile plus que jamais un tribunal populaire où chacun s’autorise à avoir un avis sur tout, et surtout sur tout. Je dois avoir quelques centaines « d’amis » depuis la première heure en 2007. Je n’en ai jamais rencontré les deux tiers. Je décide de supprimer les contacts n’ayant aucun rapport direct ou indirect, et surtout, ceux qui déversent leurs états d’âme.
Soirée de résultats d’élection surréaliste où l’on voit les protagonistes de ce premier tour comme hagards et désemparés, les journalistes désorientés. Les moins lucides se posent la question incongrue et hors-sol de savoir s’il faut organiser le deuxième tour… La mesure de la gravité n’a toujours pas été prise…


Lundi 16 mars
La rumeur avance comme une lame de fond : le confinement total sera certainement annoncé ce soir par le Président de la République.
Je ramène ma voiture des transports de l’ain au dépôt d’Ambérieu et comme à l’accoutumée, je rejoins Saint-Rambert en courant, 13kms, difficilement. Mes jambes semblent m’abandonner et je me demande si je n’ai pas chopé le virus. C’est psychosomatique : au bout de 45 minutes, la machine est en température et m’amène à bon port.

La psychose s’est propagée et pas moins de 1,2 millions de parisiens ont migré vers la province.
Je suis toujours sidéré…
Je vais faire quelques courses (c’est stupide, on sait qu’il n’y aura pas de pénurie) à Market Ambérieu en début d’am. Les regards sont graves, les gens sont tendus, certains rayons ont été dévalisés et je tire intérieurement mon chapeau aux employées qui ne savent à ce moment pas, personne d’ailleurs, que cela durera longtemps. J’imagine qu’au pire l’école reprendra début mai et que je pourrai à nouveau chronométrer au même moment. 
La journée est vraiment sinistre et, cerise sur le gâteau, tellement anecdotique et futile, Neko l’un de nos chats revient de vadrouille en boitant très fort : il s’est encore fait mordre par le chat du voisin. Direction le véto de Saint-Rambert qui m’allège de 85€ mais nous soulage Domi et moi. Pas de risque que ça arrive à son pote Kamou. Lui il ne sort jamais.
Le soir, confirmation du confinement pour deux semaines. Je me mets mentalement en ordre de marche pour me préparer à changer toute mon organisation de vie.
Je positive : j’aurai plus de temps pour courir, j’aurai plus de temps pour développer mon activité de consultant e-learning et web. En plus le printemps semble installé.
Par mon passé à l’étranger, j’ai été habitué à vivre des événements, situations difficiles, guerres, exils, typhons, quelquefois à côtoyer la mort.

Ce lundi, Domi consultait encore dans son cabinet de Saint-Rambert, une dizaine d’enfants par jour.
L’annonce du confinement est un choc compte tenu de la perte sèche de chiffre d’affaire qui s’annonce. Et puis il y a aussi l’enjeu de la continuité des soins pour des enfants déjà fragiles.
Alors elle prend la très bonne décision de tenter la téléconsultation par visio.

Mardi 17 mars – Jour J
Branle bas de combat mardi matin, je lui installe une application de visio performante, je la forme.
Elle va joindre un à un les parents dont 30% vont accepter, d’autant plus volontiers qu’ils sont conscients que, plus que jamais, leur enfant aura besoin de garder un lien avec l’extérieur. Les soins de psychomotricité ont une part ludique. Elle apprend en direct la communication à distance exempte de tout rapport tactile, humain ou avec un objet, et y prend du plaisir. Les débuts lui demandent beaucoup d’efforts, la charge cognitive est lourde. Je la rassure en lui assurant qu’avec l’expérience, tout ira bien. Je lui dis aussi que c’est une formidable opportunité de reconsidérer ses pratiques, innover. Je connais bien le sujet du travail à distance pour avoir fait toutes mes études et avoir fait de la formation à distance mon métier premier.
Le nombre de téléconsultations en médecine, de visio dans les établissements scolaire, les universités, dans les entreprises va progresser de façon exponentielle. 
Je vais avoir tout le temps d’observer en direct les mutations opérées de toute urgence par les organisations pour faire face aux défis majeurs auxquels elles doivent et devront faire face : soigner, enseigner, produire, garder le lien.

Semaine 1 – mardi 17 – dimanche 22
Je vais structurer mes journées pour ne pas perdre le fil.
Le matin, veille technologique ou écriture, petit ménage, l’après-midi, footing avec Cyril mon voisin (il a la chance de bosser) au départ du hameau bien-sûr en respectant au maximum les règles d’éloignement, cad, un rayon de 2km cette première semaine. Le soir, musique – guitare, écoute vinyls, CD, spotify.

Ici à Blanaz, rien de plat, si longtemps que je n’avais pas couru dans le coin, mes vieilles jambes accusant le coup après avoir parcouru le tour de la terre en courant. 50 km cette première semaine à (re)découvrir les sentiers et chemins alentours.
Il fait très beau et je ne cesse de me dire la chance que nous avons d’être là, en plus c’est bientôt l’heure d’été. On dirait que les oiseaux sont beaucoup plus nombreux, quasiment plus d’avions dans le ciel. Nous habitons sur le couloir aérien Genève-Lyon.

En début de soirée, j’ai mis la table, allumé Marcel (c’est comme ça que nous appelons le poêle, « Marcel Poil », private joke, pardon, blague privée), ouvert une bière, sorti le rosé.
Domi remonte du cabinet, c’est la sacro sainte heure de l’apéro. France Info ou Arte TV sur la tablette. L’innocuité des débats, le peu de profondeur des analyses, c’est un euphémisme, m’énervent au plus haut point. J’adore les points quotidiens du directeur de la santé qui pendant une bonne demi-heure égrène des chiffres. Libre à chacun de faire sa  propre analyse.
Les théories complotistes font florès, ça me rappelle les gilets jaunes et plus près de nous, les grèves des retraites. Le main stream de la pensée populaire : trouver un responsable, s’il est coupable, c’est encore mieux. On tire à vue sur les femmes et les hommes politiques en oubliant que ce sont de personnes en chair et en os, perfectibles… comme tout un chacun. Je continue de supprimer mes « amis » facebook qui se gargarisent de la situation en postant des trucs du style : « Je vous l’avais bien dit », “tous des menteurs”… Ca pue.
Pendant ce temps là…
Des entreprises et des commerces se meurent et vont mourir, on n’en parle pas beaucoup. Toujours cette France des salariés, et celles des indépendants, dont je suis, oubliée. Syndrome Post Traumatique ? Je me souviens du dépôt de bilan début 2001, la dépression qui s’en était suivie, la survie professionnelle et familiale, dont j’imaginais difficilement comment j’allais pouvoir sortir.
Pendant ce temps là…
Le Moyen Orient à feu et à sang, les réfugiés noyés, les débats immondes autour de la protection de l’Europe, c’est du passé… J’ai envie de dire à celles et ceux qui hurlaient à la dictature pendant la crise des gilets jaunes et les grèves récentes : « Si vous pensez que nous sommes sous l’emprise du mal, alors, je vous offre un aller simple pour Raka, Alep, Bangui, Khartoum, Tripoli. La seule condition sera d’échanger votre place avec un autochtone de là bas. Lui sera tellement heureux de votre proposition ». Nous vivons dans une démocratie, quand même….

Je me sens profondément inutile, j’ai envie de prêter main forte d’une façon ou d’une autre… Tiens, la semaine prochaine, je peux donner mon sang. Mardi après-midi à Pont d’Ain. J’irai. Je l’ai donné trois mois auparavant à Saint-Rambert.

Le WE vient achever cette première semaine « à la maison ».
Comme il fait toujours beau, j’anticipe sur les menues petites tâches habituelles du printemps : laver les vitres, dépoussiérer la terrasse, enlever les mauvaises herbes.
Et puis, j’ai le temps de bichonner mes dix guitares : les lustrer, changer les cordes, opération habituellement à haut risque en temps normal (je suis ni patient ni adroit) mais passant comme une lettre à la poste : quand on prend le temps de faire les choses, tout se passe bien.
Cette première semaine se termine dimanche matin par une magnifique course à pied avec Cyril : enchaînement tour de France, tour du pain de sucre, tour de Béatrice. 10 kms.
50 km accomplis cette semaine, je suis bien vidé… mais c’était nécessaire pour passer le cap de la sidération…
Première semaine où le rapport au temps commence à changer. Il est difficilement concevable de m’imaginer 3 semaines plus tard, écrivant ces lignes, c’est à des années lumières…

Semaine 2 – lundi 23 – dimanche 29
Il fait toujours beau, mais beaucoup plus frais, le vent du nord s’affirme.
Je me suis préparé mentalement pour occuper mes journées utilement, mais je ne sais si c’est le mot…
J’ai rencontré trois semaines auparavant à Lyon le patron éditeur d’une plateforme e-learning. Il m’a proposé d’être son agent commercial pour la Suisse. Alors, je me remets au boulot pour prospecter. Je prends un compte premium sur LinkeDin, vous savez, le réseau social professionnel où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Je m’approprie le produit pour mieux le vendre. Mais une fois de plus, la confiance que je mets dans l’autre est bafouée. Je n’ai toujours pas oublié d’être naïf, mais j’assume.

Cet épisode remue la fange de mon passé professionnel et me fait prendre conscience que je n’ai plus rien à faire dans ce far west du numérique. Je suis heureux d’avoir vécu (et de vivre) la révolution technologique en cours depuis 35 ans et  je vais désormais me concentrer sur la création de sites Web locaux que nous opérons avec Hugo depuis 2015. Bugey Internet. La veille techno est mon carburant pour rester en contact avec les évolutions technologiques.

Mardi 24, point de chronos pour au moins deux mois, alors où trouver le chiffre d’affaire minimum… J’ai eu un rv commercial pour la refonte du site Web du club de rugby d’Ambérieu.
Hugo et moi avons fait une proposition qui… est acceptée. C’est une formidable bouffée d’oxygène, pour la confiance, et bien sûr pour le porte monnaie. J’en ai marre de la “peur” du lendemain, je n’ai jamais soufflé, toujours cette pression de devoir boucler le mois, comme Domi.
Nous nous disons tout le temps… “Mais pourvu qu’on ne tombe pas malade, sinon, on n’aura rien, que dalle, rien, nada.”. Et en même temps, on se dit que c’est justement parce qu’on a cette pression qu’on reste debout. Mais que c’est pesant.
Bon, je suis heureux de cette “prise de guerre”.
Ma réputation locale, en tout humilité, y est pour quelque chose mais surtout, je suis heureux de travailler avec des gens humbles, qui font confiance, qui souhaitent faire travailler local, qui respectent l’expertise.

Mardi 24,  il fait froid, je cours avec Cyril, 8ème sortie depuis J1 avec au total 70 km et 2000m de dénivelé. Je suis exsangue et livide, j’ai trop donné.

Mardi 24, premières courses à Saint-Rambert. J’ai remplis ma première attestation dérogatoire, première d’une longue série.
A Inter Marché, je remercie chaleureusement le personnel d’être là. Je fais de même à la boulangerie.
La queue sur le trottoir avec marquage au sol tous les 1,5 m. Ca cancane : “on nous ment” – “Ya pas de masques, c’est fait exprès pour qu’on y passe tous”. La patronne et le patron ont décidé de laisser leurs trois employés à la maison. Ils font le job le matin, prennent sur eux. Une personne à la fois. Je demande ce qu’il en est de la rémunération de leurs employés… Ils n’en savent rien. Je leur dis, mais si vous êtes  crevés et que vous perdez de l’argent, fermez. Ils me répondent qu’il n’en est pas question, qu’ils ne peuvent pas laisser les gens comme ça. Dans le même temps, ils s’en prennent plein la tronche par certains de leurs clients. Si le personnel soignant est, à juste titre, applaudi tous les soirs, celles et ceux de l’ombre, aux caisses, sur la route, derrière les fourneaux, sont oubliés. et on ne viendra pas me dire que c’est la faute des politiques. C’est simplement culturel… Mais je m’emporte. Je me calme…
Paradoxalement, chez le boucher, juste à côté, je n’ai jamais vu autant d’employés. Il fait beau et c’est plus que jamais l’ouverture de la saison des BBQ.

Mardi 24, je n’irai pas à Pont d’Ain pour la prise de sang. Domi préfère pas : je fais partie des séniors, population dite à risque. Faut bien que je me rende à l’évidence, même si je suis en pleine forme et que je ne suis jamais malade (ma dernière vraie grippe remonte à 2001).

Jeudi 26, avec les voisins du haut, nous inaugurons “l’apéroru”, le terme est de moi et je suis très fier de cette poussée de créativité (c’est du xième degré) : on se retrouve sur la rue avec la distanciation sociale (quelle horreur cette formule), une bière (ou autre) à la main. Que c’est bizarre… Mais on va s’y faire et l’anormalité deviendra bientôt la normalité. C’est l’occasion (merci à toi coronavirus) de nous permettre de tisser des liens (un peu plus ?) profonds. Nous sommes tous et toutes bouleversés, sidérés, abasourdis. alors nous nous dévoilons. Enfin… c’est ce que je pense.

Samedi 28, nous allons marcher. A Javornoz, un BBQ avec une meute d’une dizaine d’abrutis collés les uns aux autres, faisant sans doute partie des complotistes. Domi est prête à appeler les gendarmes. Quelques jours auparavant, je m’étais fait rabroué par un coureur à qui je ne voulais pas serrer la main. En retour, je lui avais parlé du pays.
Je termine la semaine sur les rotules.
Domi, s’éclate, même si c’est difficile, dans ses nouvelles modalités de consultation à distance, Lucas et Anne-Sophie ne sont pas loin de chez nous avec leurs Huskies, Hitch et Iron, et le chat Grisoux à faire du sport, Hugo et Annie attendent Cléa pour le 9 avril. 

Et puis, sous l’impulsion de Gérard et de Louis, les animateurs de l’atelier d’écriture de la MJC d’Ambérieu, je vais écrire, écrire sur le confinement, les lignes que vous lisez. Je prends la résolution de m’y mettre la semaine à venir, la troisième.

Semaine 3 – lundi 30 – dimanche 5
Lundi 30, il fait froid et moche, je suis nerveusement et physiquement fatigué. en plus, nous voici passés à l’heure d’été. Jamais pour me déplaire, mais on y laisse toujours des plumes.
Je suis heureux de faire l’assistance technique de Dominique qui consulte à son cabinet de Saint-Rambert : la connexion internet opérée de son téléphone “intelligent” défaille….
Mardi 1er avril, le beau temps revient et la forme avec. La coupure relative de course à pied a permis de me régénérer.
Domi rentre finalement à la maison et s’installe dans la chambre de Lucas. Elle est aux anges : la connexion fonctionne bien mieux (le même débit que depuis 2004, pas de couverture mobile, hahaha, je rigole quand j’entends parler de la fibre).
Je commence à noircir le journal d’un con fini. Je l’avais initialement ainsi intitulé.

Pas beaucoup de poissons d’avril ici ou ailleurs et j’ai l’impression qu’il y a moins de conneries qui trainent sur les réseaux sociaux. Je tâche par hygiène mentale de moins  y aller et je continue de retirer mes “amis” complotistes. Par contre, je distribue des “j’aime”, voire je partage les posts positifs et ceux des petits commerçants qui appellent à l’aide. La boulangerie de Saint-Rambert écrit :
Chers clients
Nous vivons tous des moments difficiles mais encore plus pour ceux qui se doivent de rester ouvert pour pouvoir subvenir à vos besoins. Nous sommes exposés nous commerçants au quotidien dans une atmosphère difficile parce que les gens ont peur. Nous ne voyons pas nos familles , nos enfants parce qu ils sont confinés loin de nous pour les protéger. Parce que chaque jour nous sommes exposé à ce mal invisible.Mais nous aussi on a peur mais on garde le sourire pour nos aînés, pour les gens isolés, pour vous tous.
Alors svp respectez les règles que nous avons mis en place.
Soyez patient dans les files d’attente si la personne d’avant discute une minute parce qu’il ne voit personne d’autre de la journée que nous. Comprenez que nous ne pouvons satisfaire toute vos demandes comme d’habitude parce que nous sommes en sous effectif
.
Respectez les distances de sécurité.
Chaque jour devient plus difficile alors svp, chers clients aujourd’hui on a besoin de votre sourire chaque jour pour nous aidez à tenir dans ces moments difficiles pour tous.
Votre boulanger et boulangère

 Pour moi ce sont des héros ordinaires. Angélique va devoir emprunter pour payer ses salariés.

Milieu de semaine, je travaille sur la conception du site web du club de rugby. J’adore phosphorer.
Hugo prend le relais et comme d’habitude réalise une belle première version prête à être validée par les bénévoles de l’association.

Jeudi, un apéroru avec les voisins, nous gardons les distances, le soleil s’apprête à se coucher, les lumières sont magnifiques, les oiseaux picorent les graines que Domi leur prépare toutes les semaines, dans la mangeoire perchée sur le noisetier.
Une bière à la main, Philippe et moi apprécions égoïstement la situation en nous disant que, finalement, cela pourrait durer plus, ça ne nous gênerait pas. En ce qui me concerne, je n’apprécie pas franchement la situation mais j’ai toujours l’habitude de positiver et d’évacuer les idées négatives. Cette troisième semaine passe vite, les jours défilent comme le paysage à la fenêtre du transsibérien : c’est bon signe, je me connais bien, cela signifie que j’ai pu m’approprier cette nouvelle donne de vie. J’arrive à bien structurer mes journées et garder un rythme qui me permet de rester au contact d’une forme de réalité, en tous cas, celle “d’avant”.
Le pire n’étant jamais sûr, je me conditionne selon un scénario extrême : pas de chronos avant le mois de juillet et l’école qui ne reprendra qu’à la rentrée. Alors je me projette : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire, je dois absolument gagner ma vie, il n’est pas question de taper dans les réserves.

Et puis, notre petite-fille est prévue la semaine prochaine, le jeudi 9. Nous commençons à être sur les charbons ardents. A chaque fois que le téléphone sonne ou qu’une notification parvient à nos oreilles, nous sommes dans les starting blocks. Hugo et Annie partagent avec nous leur impatience et leur anxiété. Hugo va-t-il pouvoir assister à l’accouchement compte tenu des mesures qui pourraient se durcir. Tout est prêt dans la belle cabane à la lisière de la forêt, où il leur arrive de voir des lynxs. Pita leur boule de poil ne s’y s’aventure que précautionneusement.
L’hôpital se situe à 20 minutes de Val David, magnifique grand village entouré de Lac. Tout est prévu, au poil, pour que l’accouchement se passe bien.
Ce WE, nous prenons la voiture pour aller chercher du petit bois dans la nature. Il est sec comme il faut, grâce (ou à cause) de la sécheresse qui s’est installé. Nous n’avions jamais vu cela début avril.
Samedi soir, nous prenons l’apéro pour la première fois sur la “terrasse”, vue sur la montagne, cela nous fait un bien fou, c’est le lancement symbolique du printemps. Contemplations.

Dimanche 5 matinée, une longue sortie d’une heure et demi dans la montagne, avec Cyril.
Là où il y a encore 3 semaines, nous courions dans les ornières boueuses creusées par les tracteurs ou les sangliers, nous rencontrons un sol sec comme une trique se lézardant comme dans les déserts africains où jadis je courais.

Semaine 4 – lundi 6 – dimanche 12
Lundi, j’en ai marre de me concentrer pour que mes journées soient construites et structurées, pour que mes journées soient “utilement” occupées. En fait, je continue à me mettre la pression, celle que je me suis toujours mis : être, productif, occuper mon temps et toujours apprendre, dans une quête sans fin. Procrastiner n’est pas dans mon vocabulaire. A quoi bon ? J’ai 61 ans… Alors je vis des moments d’intenses réflexions, comme toujours mais plus que jamais. L’année prochaine, je pourrai solder ma retraite, qui ne sera pas suffisante, mais au moins aurai-je moins de pression financière, plus la boule au ventre et l’appréhension du lendemain.
Le confinement me permet de prendre du recul et de regarder dans le rétro. Je continue plus que jamais à penser à la mort.
Aujourd’hui, j’ai décidé d’aller marcher. Je n’aime pas vraiment marcher, en tous cas seul. Nous allons souvent nous balader avec Domi, ici ou plus loin. Mais aujourd’hui, c’est seul. Mes cuisses et mollets n’en peuvent plus de ce que je leur inflige depuis trois semaines. Alors, je leur fait un petit cadeau : nous irons faire le tour de France, un petit tour de 2 km. C’est bizarre de marcher tout seul. Aller, me dis-je, “un bon entraînement pour quand tu ne seras plus en état de courir mon vieux !”.

L’habitude est prise de ne pas regarder/écouter les infos. Néanmoins, un coup de France Info et d’Arte TV pendant ¾ d’heure. Le niveau sibérien de réflexion et d’analyse de certains commentateurs nous affligent.
Que vais-je faire de ma soirée ? J’ai l’embarras du choix… écouter un cd, un vinyl, travailler la guitare ? Ou simplement regarder la TV (ce que je fais très peu souvent). Ce sera la TV avec un documentaire sur AC/CD, le groupe phare de hard rock des années 80. C’est sympa, ça passe le temps, mais j’ai le même avis qu’à l’époque de mes 20 ans : rien ne vaut Van Halen et ses prédécesseurs, Led Zeppelin, Deep Purple et tant d’autres…
Dans la belle armoire en bois, unique héritage de Domi, 700 vinyls, 500 CD et la chaîne HIFI de mes rêves pour écouter tous ces joyaux couvrant des années 1950 aux années 2000, dans tous les styles. Même si je  suis mis à écrire depuis peu, paradoxalement je ne lis pas (uniquement la presse, Courrier International ou l’Equipe), je me nourris de musique. Je ne lis pas de roman, je n’ai pas la patience. Haruki Murakami fait partie des exceptions. Tellement paradoxal…
Alors j’écoute Oum Kalsoum, Miles Davis, Léonard Cohen, Aerosmith, Marcus Miller, Claude Nougaro, Pat Metheny, Paco de Lucia, Toure Kunda, Manu Dibango, Pino Daniele, Eric Gale, Larry Carlton, Vivaldi, Bach, Joaquin Rodrigo… L’écoute et la contemplation musicales de ces derniers mois me semble magnifiée par le confinement qui finalement m’apparaît comme une forme de délivrance.
Je revisite plus que jamais par la musique les pays de ma jeunesse.

Mardi 7 avril. Il fait très beau, comme je l’ai indiqué sur l’agenda que je ne manque jamais de renseigner, chaque jour de l’année. J’ai écrit “TBT”, très beau temps. Ca fait un quart de siècle que je note ce que je fais : le temps qu’il fait, le boulot, les kms courus, la forme (ou pas), les souffrances, les joies,  les événements familiaux, les copains… J’écris ces lignes à l’aide des notes prises il y a seulement une semaine. C’est tellement précieux de noter, tous les jours. Moi, ça me permet de rester en vie et de garder la mémoire. J’ai donc pas loin d’une trentaine d’agendas, autant d’années… Et, quand des vieux amis viennent nous voir, nous nous posons la question évidemment : “mais… on s’est vus quand la dernière fois ?”. Alors, nous prenons nos paris et je vais exhumer l’agenda ad’hoc pour proclamer le vainqueur.
Aujourd’hui, je commence à chercher un moyen pour éditer mon autobiographie, “Hors-Sol”.
Je voudrai éditer un nombre limité d’un vrai livre, sobre, comme ceux publiés par ma grand-mère Dominique Rolin chez Gallimard. Je me dis que je dois être un écrivain refoulé. J’ai tant de choses à dire… Comme à la guitare, tant de choses à dire mais le sentiment de ne pas être l’interprète que je rêve d’être. Ces moments d’intériorisation sont à la fois durs et salvateurs. Je sais bien-sûr que l’essentiel est ailleurs que dans la contemplation égoïste de son nombril.
Mardi après-midi, je me pose pour coucher la semaine 1 de ce journal puis je vais courir.
Le soir, le rituel de l’apéro puis des infos vues sur la tablette, au coin du feu, France Info TV, Arte TV.. Les cats sont là, l’un bronzant à la chaleur intense de Marcel Poil, l’autre, affalé de tout son long sur une chaise.
20h30, Il est temps de débarrasser la table et d’aller chacun vaquer à nos occupations respectives.
Alors je m’apprête à éteindre la tablette quand la notification d’un appel visio vient nous arracher de notre torpeur. Nous comprenons tout de suite. Il est 14h30 à l’hôpital de Saint Agathe – Québec. J’appuie comme un dingue sur le bouton vert “répondre”… Une image apparaît, c’est magique, un ravissement.
Hugo et Annie sont trois depuis à peine deux heures. L’accouchement s’est merveilleusement bien passé. La petite Cléa est là, paisible, elle dort, elle n’a pas encore eu son premier sein, elle n’a pas encore eu son premier bain. C’est magique. Nous sommes tous les deux émus aux larmes. Malgré son émotion, Hugo manipule la caméra comme un chef, zoomant alternativement sur Annie et leur fille. On s’y croirait. C’est exceptionnel, le temps s’est comme arrêté. Nous allons nous coucher des étoiles dans les yeux.

Les jours suivants, j’évolue dans un état second difficile à décrire. Tous les jours, vers 20h00 heure française, 16h00 heure du Québec, Hugo nous appelle en visio pour nous dérouler un moment de vie en direct. Il sont tous les deux sous le choc de la naissance, qui plus est se retrouvant seuls à la maison, la joie le disputant à la fatigue. Enfin pas si seuls que ça puisque qu’un médecin et une infirmière veillent au grain : surveillance du poids, attention portée aux parents. Annie est épuisé et Hugo assume son rôle de père. Frustration de ne pas pouvoir recevoir du monde à la maison. Sur une photo, on voit deux amis proches, derrière la fenêtre, venus leur rendre visite. Vendredi soir, nous parvenons à nous “voir” tous ensemble, Clara et Mathieu à Berlin, Lucas et Anne-Sophie à Brens. Un moment extraordinaire… Vivement que nous soyons vraiment réunis. Pas avant l’automne…
Vendredi, je continue mon journal.
Samedi je cours, puis construction du nouvel escalier en pierre avec Domi, chef  de chantier.
Dimanche idem. Le soir, visio avec Val David. 140 km courus en 4 semaines pour 400 bornes depuis le 1er janvier. Je suis au dessus de l’objectif que je me suis assigné pour 2020 : 1200 km.
Je suis trop crevé pour faire quoique que ce soit d’autre que regarder la télé, mais pas envie de dormir du tout. Je zappe et tombe sur Barry Lindon, cette magnifique fresque historique de 1975 signée Stanley Kubrick. Comme il y a quarante cinq ans, j’adore.
Je vais me coucher crevé, mentalement et physiquement, je sais que le début de la semaine 5 va être difficile mais, ça y est, je sens que je  m’installe dans un nouveau paradigme de vie où je vais, je l’espère lâcher prise. Cette période est dingue.

Semaine 5– lundi 13 – dimanche 19
Lundi de Pâques… Il fait beau, très beau. Je me souviens qu’il n’y a pas si longtemps, les enfants faisaient des bonhommes de neige dans le jardin. Il est même arrivé que nous bâtissions un igloo, au début des années 2000. C’était des parties de luge effrénées dans le champs devant la maison.
Mais, bon c’était avant, le changement climatique est passé par là, comme les années. Mais toujours aussi jeunes et heureux d’être toujours “dans le game”.
Le matin, je vais courir avec Cyril, une dizaine de kms avec du dénivelé. Je suis physiquement “cramé” et surtout tendu. Je crois que je suis en phase de décompression mentale, je me connais bien… Après la pluie, le beau temps, ça ira mieux plus tard…
Nonobstant ce jour férié, Domi continue à consulter, elle est forte.
Le soir, visio avec Val David, chez la petite Cléa. Emouvant.

Lundi soir, intervention de Emmanuel Macron.
A propos, petite parenthèse (quand je discute politique avec quelqu’un et que je sais qu’il n’est vraiment pas pro Macron, je lui demande : “Tu sais pourquoi j’ai voté Macron ?”, il me répond : “Non”. Je lui explique alors : “J’ai voté pour lui parce que nous portons le même prénom”.
En retour, j’ai un magnifique rire jaune. J’adore provoquer, c’est bête, je sais. Un con fini…
Parenthèse fermée.
L’allocution va porter sur la date d’un éventuel début du déconfinement. Le pays est à cran et il s’agit en particulier de décider pour les écoles, collèges et lycées : mai ou septembre.
Je me prépare mentalement à ce que ce soit septembre, la pression sur Manu est trop grande, proportionnée à la peur, la psychose, peut-être justifiée, mais je n’en suis pas certain.
Finalement, c’est le 11 mai que les établissements scolaires ré ouvrirons, progressivement. Je suis fou de joie même si je sais très bien que cela ne se fera pas comme ça, d’un geste.
Mais ce n’est pas l’avis de tous, loin de là : un sondage (odoxamachinconsulting) affirme doctement que 6 français/10 sont contre cette décision… J’ai toujours pensé que les sondages pouvaient inéluctablement contribuer à détourner le cours de la démocratie.
Le secrétaire général de la CGT se croit autorisé à décréter que ce n’est pas une bonne décision, qu’il faut attendre… le mois de septembre…
Le Président annonce que les transports reprendront. Ceux qui ont paralysé le pays il y a peu menacent de faire valoir leur droit de retrait si les conditions sanitaires ne sont pas remplies.
Je voudrais leur demander : Est-ce que les hospitaliers et personnels de soin se sont posé cette question ? Non, ils y sont allés.
Alors que je cours dans les jardins à Saint-Rambert, je croise le principal du collège de Saint-Rambert en train de se balader. Toujours avide de savoir comment fonctionne le monde, je le questionne.
Il n’a toujours pas reçu d’instructions. Il les attend et les appliquera en les ajustant au contexte de sa boutique. Il est adhérent au PRG (centre gauche). Bien informé, il m’affirme que le ministre de l’éducation nationale n’avait pas été mis au courant de la décision de la réouverture des écoles par le Président avant son intervention. Je lui dis : mais c’est dingue. Je le crois. C’est un mec bien qui assume son rôle de pédagogue, il porte les valeurs de la République. Pour terminer, avant de reprendre sa marche et moi de reprendre ma course, il me dit que c’est sauve qui peut chez les députés, que tout le monde flippe et qu’ils sont dans une “sacrée merde”.

Mardi matin, le vent du nord souffle. Je suis encore crevé. Le matin, je vais faire des courses à Ambérieu. L’après-midi, je me fais violence pour écrire la semaine 3 de ce journal d’un con fini. Surtout continuer à tourner en dérision et prendre du recul, c’est mon médoc.
Je travaille un peu la guitare avec le magnifique concerto d’Aranjuez, mais je ne me sens pas à la hauteur. D’ailleurs, mes guitares ont beau me tendre leurs manches, je suis incapable de jouer plus de cinq minutes. Même si ces minutes sont quelque fois des moments sublimes où mes doigts sont sous sur leur unique contrôle. C’est magique quand je peux improviser sur quelque grille que ce soit : “Une belle histoire” de Fugain, “While my guitar gently weeps” de Georges Harrison, ou alors “Le morceau” de mon pote Luc décédé il y a deux ans, une suite d’arpèges limpides et inspirées que nous jouions dès 1985.
Voilà, il me semble que plus j’écris, moins je joue. Et qu’il n’est pas possible de tout faire. Mais je sais que, quand j’écrirai moins, je jouerai… plus.
Il me faut lâcher prise.. Pour ce faire, la télé ou youtube, relax sur le canapé. Aujourd’hui mardi, c’est Phil Collins après avoir couché la semaine 4 et couru 5 km sur le plat, sous le soleil, torse nu.

Jeudi, je m’astreins à lire un peu : Courrier International auquel je suis abonné depuis tellement d’années. Le titre : “Un risque de pénurie, vraiment ?”. Le sous-titre : “La fermeture des frontières , le stockage et les achats dits de panique pourraient provoquer une crise qui n’a pas lieu d’être. Seule solution pour garantir la sécurité alimentaire de tous : la coopération internationale”.
Vendredi, écriture de la semaine 4, celle de la naissance de Cléa, il n’y a même pas dix jours.
Ca y est, je sais pourquoi je suis crevé, pour parti en tous cas. On ne soupçonne pas l’énergie mise dans la gestion des émotions d’un tel événement. Mais je me sens mieux, j’atterris.
L’après-midi, je vais courir dans les jardins. Ca me régénère, et, dans la foulée, je prends une décision importante : celle de créer un blog. En effet, devant l’impossibilité de publier mon autobiographie, et compte tenu de mon impatience à partager la chose, je me jette à l’eau.
emmanuelchaume.run est créé. Il me reste à en remplir les pages, mais aussi à décider de l’ergonomie, de la structure. J’ai pas mal d’écrits dans les tiroirs et eux aussi, je veux les partager. Humblement.
Samedi 18, je vais faire les courses à Ambérieu. La queue de vingt minutes prend la forme d’un serpent. Une queue d’être humain, je trouve pas ça beau, mais là c’est franchement déprimant, malgré le beau temps. J’ai mis le short et le t-shirt mais il fait un brin frisquet…
L’après-midi, nous coupons du bois… jusqu’au moment où l’outil tombe en panne, vite réparée par la fée Domi qui a trouvé la solution. Comme il y a un mois quand le lave-vaisselle a menacé de prendre sa carte à la CGT.

Le soir, apéro terrasse avec ouverture avant l’heure de la saison “Spritz” : Prosecco + Aperol + Bulles (en l’occurrence du perrier, c’est fou…). C’est pompette que nous contemplons la montagne, écoutons les oiseaux et nous émerveillons simplement de ces moments. Cléa Hugo et Annie comme tous les deux jours nous rejoignent le temps d’un petit moment de bonheur.

Dimanche. Nous avons prévu avec Cyril une sortie de 12km avec du dénivelé se terminant par une longue côte de 2km, vers Arandas. 1h07 et 10,5 km/h de moyenne. Je me dépouille comme jamais.
L’après-midi, nous sommes tous les deux fatigués et puis il y a quelques nuages. c’est propice à rester tranquille “au chaud”.  Je travaille sur le blog, je suis efficace, l’objectif de la mise en ligne est en point de mire. Même si je sais qu’il va m’en coûter : je n’ai pas pour habitude d’étaler ma vie.
En tout cas, l’écriture du présent journal d’un con fini m’aide à faire mon chemin. 185 km sur les chemins depuis le début encore et encore…

Semaine 6– lundi 20– dimanche 26
Et c’est parti pour la semaine 6 ! En veux-tu ? en revoilà !
Lundi 20, journée maussade dans la tête, je suis profondément fatigué, mentalement et physiquement, à la limite d’une forme de dépression, toute proportion gardée…
Le matin, je vais à Ambérieu poster le colis pour Val David : il renferme des trésors pour notre trésor de Cléa : Sophie La girafe, des vêtements… Je n’imaginais pas que les avions puissent encore voler, au moins Cléa aura-t-elle ses cadeaux…
Dans la queue, le patron du Bar’Occ, bar-restaurant du centre ville d’Ambérieu, lieu d’échanges et de convivialité par excellence… Je lui dis bonjour de loin. D’habitude il est toujours jovial, souriant, toujours un mot positif… Il semble anéanti, j’ai mal pour lui.
L’après-midi je suis exsangue. Affalé sur le canapé, l’ordi sur les genoux, le casque sur la tête, je zappe machinalement sur you tube pour voir défiler successivement… un doc sur la catastrophe du TGV Est en 2015, à l’époque exposée sous silence du fait des attentats du Bataclan survenus juste avant… l’épopée des pilotes de DC3 en Colombie, pilotant ces vieux coucous à tout faire des années 50, pour desservir le bout du monde… des images de l’intérieur du cockpit d’un A380… des images d’atterrissages sur des aéroports difficiles. Le soir, c’est la télé avec un doc sur la seconde (deuxième ? On dit second s’il n’y a pas de troisième) guerre mondiale, un biopic sur Michaël Jackson….
Le plein d’images potentiellement anxiogènes qui vont de pair avec celles dont je rêve la nuit quand je tiens un fusil face à l’agresseur mais que je peine à appuyer l’index sur la gâchette.

Mardi 21, une journée à oublier de toute urgence. Oh, il ne s’est rien passé de bien spécial mais en fin de journée, après avoir un tout petit peu couru et tourné en rond, je me retrouve le soir la boule au ventre, tendu comme rarement. Le soir, nous voyons Cléa. Elle a déjà quinze jours…
Je sais que demain, ça ira mieux : deux jours d’affilée sans courir, ça permet de recharger les batteries.
Mercredi 22. La forme est de retour ! Je me consacre pleinement à mon blog.
Jeudi 23 idem mais je vais courir dans les jardins après trois jours de relâche.

Vendredi 24… annonce de mon blog emmanuelchaume.run via ma page facebook. Ca me coûte : je me demande bien à quoi bon. Qui ça peut intéresser, n’est-pas quelque peu faire preuve d’immodestie que d’étaler sa vie comme ça ? En plus, je sens qu’il m’en coûte d’écrire et je me demande à quoi continuer à écrire ces lignes…
Samedi 25, belle journée notée «top » dans mon agenda 2020 courrier international.
Je suis heureux de constater que mon blog suscite de l’intérêt et je reçois quelques messages me disant que j’écris bien et que j’ai du talent. Ca fait un bien fou, même si je sais garder du recul. Le talent, tout le monde en a, et puis, c’est quoi le talent ? En tout cas, je le vis comme une forme d’accouchement.
L’après-midi, nous allons chercher du bois le long de la Caline vers Conand, puis nous continuons les travaux de l’escalier. Le soir, Spritz saison 3 sur la terrasse à comme toujours nous émerveiller du spectacle de la nature animé par les oiseaux trop heureux de la clémence du climat.
En fin de soirée, je prends l’Admira venue d’Espagne pour interpréter à ma manière Greensleeves, un titre baroque de 1580 écrit par on ne sait qui en Angleterre, que tout le monde connaît. Je suis content, mon jeu est fluide comme jamais.

Dimanche 26, le 6ème depuis le début. Nous allons courir avec Cyril, un aller-retour Arandas-Ordonnaz pour 12kms sous une petite pluie fine (oxymore). Je sens que la forme physique revient.
L’après-midi, poursuite du chantier escalier où il faut manipuler de belles pierres de taille, le sol est encore très sec. J’éprouve bêtement de la culpabilité quand il nous faut délicatement arracher les escargots de leur demeure et les mettre en lieu sûr. Ils seraient tellement heureux de savoir qu’il va bientôt pleuvoir. Nous allons en voiture récupérer du bois bien sec sur un spot repéré sur la route d’Arandas le matin même.
La sixième semaine de rang s’achève et j’ai le sentiment que le début est à des années lumières. Et si finalement, l’après c’était pas maintenant ?
Et finalement, je m’y fais ? Bof, non, j’essaie de m’en convaincre mais ça ne marche pas… et je veux pas être dans le déni. Que c’est difficile quand même. Et ça l’est pour tout le monde, je le vois bien. Quelques uns de nos voisins, d’habitude bien peu diserts, sont heureux de taper la causette tandis que d’autres auraient tendance à se planquer…

Semaine 7– lundi 27– dimanche 3
La routine s’installe… J’y prendrai presque gout.
Domi travaille à la maison, mais je ne la vois que pour déjeuner, quand elle a fini ses 2-3 rendez-vous de la matinée, pour un repas rapide autour du jeu des mille euros.
En temps normal, le jeu des mille euros est à 12h45 mais là, il est passé à 12h15.
En temps normal, je suis seul à religieusement l’écouter comme j’écoutais le tribunal des flagrants délires à la même heure, il y a presque quarante ans.
C’est fou, seul le virus aura pu bouleverser les tranches horaires sacralisées de la radio.
A midi, j’aime écouter la radio, la vraie, une Sony PO/GO/FM de 2004.
En temps normal, je peste contre la pluie et le manque de soleil. Ce lundi soir, elle se met à tomber, toute la nuit. Je suis heureux pour tous les animaux, pour la Caline et sa maman l’Albarine, que je ne voudrais pas voir comme à la fin de l’été dernier, asséchées à l’extrême…
En temps normal, nous serions depuis trois jours à Val David auprès de Hugo, Annie et leur petite Cléa, trois semaines de vie déjà.
En temps normal, je n’aurais pas le temps d’écrire et de nourrir mon carnet de vie numérique comme je le fais tous les jours, assidûment. Mais comme il m’en coûte mentalement. Ecriture de la semaine 5 ce lundi.
En temps normal, il fait habituellement moche comme c’est le cas à cette époque de l’année.
En temps normal, je serais en train de préparer le chronométrage du trail de Douvres qui a lieu le premier dimanche de mai.
En temps normal, je n’aurais jamais vécu le rêve émerveillé de me voir être éligible au fonds de solidarité corona (le virus pas la bière) : 1500tombés du ciel. Jamais le petit patron que je suis n’avait été habitué à tant d’attentions de la part de l’Etat.
En temps normal, il arrive peu souvent que le 1er mai tombe un vendredi et que de surcroit je ne me lève qu’à 9h45, fatigué comme si j’avais bossé toute cette semaine de quatre jours…

Je suis heureux que le WE survienne plus vite : Domi est là.
Comme disait ma grand-mère Dominique Rolin, il pleut comme vache qui pisse, alors je suis reclus, à écrire, élaborer un devis pour la réalisation d’un site internet pour une association culturelle de Bellegarde. Pendant ce temps, Domi est à l’étage, accrochée à sa machine à coudre de marque Toyota, à confectionner des masques. Il en faudra beaucoup à partir du 11 mai, date du début du déconfinement, où elle reprendra ses consultations au cabinet. Des masque fun faits de tissus ramenés du Sénégal en 1989.

Samedi, c’est le temps normal : nous profitons d’une petite accalmie pour continuer les grands travaux de l’escalier.
Le soir, c’est Spritz saison 4 dans le séjour. Nous écoutons le Magnificat de Bach sur CD, un des premiers que j’avais acheté à la Fnac avant la naissance de Hugo en 1986.
Dimanche, retour du beau temps et 12 km avec Cyril, la semaine de repos a fait du bien et je sors en forme de ces quelques jours d’une léthargie bénéfique. 230 kms depuis le début ! C’est comme si j’étais allé jusqu’à Clermont-Ferrand. Une comparaison qui ne rime à rien si ce n’est de me faire rêver à ce voyage en courant que je ferai un jour.
L’après-midi, je persuade Domi d’aller marcher (elle n’a pas mis le nez dehors cette semaine) quelques kms sur des chemins inconnus d’elles le long de la Caline. Ca lui fait grand bien d’autant plus qu’elle en revient avec du muguet et de l’ail.
Le soir, apéro dans le séjour (nous finissons le Prosecco de la veille) en écoutant des vinyls de musique folklorique indienne et coréenne.

Le soir, je regarde « Tant qu’il y aura des hommes » magnifique parabole cinématographique de 1953 sur les bassesses et l’héroïsme des hommes, la soumission et la patience des femmes. En anglais « From here to eternity ». Jamais je n’avais autant regardé de films.

Semaine 8, la dernière– lundi 4 au dimanche 10 mai

J’achève d’écrire ce journal seulement le 5 juin, quatre semaines plus tard. Il faut dire que la routine d’avant a fini par revenir et que je n’ai pu trouver le temps mental ni le temps tout court d’écrire la dernière semaine.
Il fait beau et les températures grimpent, si bien que Marcel Poil est mis au repos.
Je vaque toujours à mille et une occupations : achats de masques, petit entretien du jardin, finalisation de l’escalier, nettoyage du cabinet de Domi qui va pouvoir reprendre comme avant. Ca tombe bien, elle en a marre et est bien fatiguée nerveusement de la charge mentale subie.
Samedi, spritz saison 5 sur la terrasse.
Comme d’habitude je comptabilise les kilomètres parcourus : courir et écrire m’auront aidé à passer cette période sidérante comme une lettre à la poste.

Un mois plus tard, j’en serai presque nostalgique, mais je croque la vie à pleines dents, je suis optimiste à l’envi et dit à qui veut l’entendre que cette crise est salutaire.




Auteur

echaume@bugey-internet.fr