Frédéric Crassin sur 100 bornes à Saint-Nazaire les Eymes le 13 mars
Cet entretien « à chaud » avec Frédéric s’inscrit dans la continuité de la retransmission en «direct» de sa course sur le forum du site www.amberieumarathon.org. Nous y avions recueilli les impressions de Frédéric avant et pendant la course grâce à un contact quasi permanent avec Carole qui, en plus d’assumer sa tâche d’accompagnatrice nous avait relaté les faits marquants de la course par téléphone portable. Le « 100 bornes », c’est pour beaucoup un mythe. Comme le marathon a pu l’être en son temps. Maintenant les 42,195 se sont considérablement banalisés et beaucoup de coureurs s’adonnent désormais au plaisir de l’ultra, dont le 100 kms est une des distances phares ainsi qu’une des plus anciennes dans la jeune histoire de la course à pied longue distance. Sur de telles distances, les ressources physiques ne suffisent pas, il faut également racler au plus profond de son mental l’énergie qui permettra au corps de rallier l’arrivée. Témoignage d’un jeune 100 bornard au mental et aux jambes d’acier
Emmanuel Chaume : Bonjour Fred, on se rencontre aujourd’hui deux jours après ta « perf » de Saint-Nazaire les Eymes. Comment te sens-tu ?
Frédéric Crassin : Ca va… Dans la nuit de samedi à dimanche, laborieux pour bouger de place dans le lit… puisque ni les cuisses, ni les genoux, ni les mollets ne répondaient donc rien que pour se retourner, c’était difficile… Mais aujourd’hui ça va, je marche bien.
EC : Très bien, je te propose de faire un flash back sur ton passé de coureur à pied pour comprendre comment tu en es arrivé à courir une épreuve aussi difficile, aussi terrible physiquement et mentalement. Quel âge as-tu ?
FC : 35 ans, j’ai commencé avec le collège avec un prof de gym extraordinaire qui nous a envoyé avec un groupe de scolaires sur mon 1er semi-marathon, Saint-Pol-Morlaix. J’étais encore en 3ème . Ca va faire une vingtaine d’années. Et puis, j’ai récidivé sur la même épreuve une deuxième année pour poursuivre pendant 3-4 ans par des semi-marathon uniquement.
EC : Et tes premiers chronos ?
FC : Le 1er, je ne sais plus mais ça doit être 1h50… C’était bien. Et puis après, lorsque j’ai couru tout seul, ça devait tourner autour d’1h35.
EC : Donc, très tôt, tu as été infusé à la longue distance….
FC : Oui et ce n’est que quand j’ai commencé à travailler que je suis monté sur des 12-15 kms. J’ai travaillé la vitesse après (rires).
EC : Et ton 1er marathon ?
FC : Le 1er marathon, ça devait être en 96, si j’ai bonne mémoire, à Lille. J’étais engagé sur le marathon des sables 96 – que j’ai fait avec Marco (NDLR : Marc Lerouge a fait parti du club pendant trois ans) et je me suis dit que ce serait bien que je fasse un marathon avant d’aller sur le périple « des sables ».
EC : Alors, qu’est-ce que ça a donné ?
FC : J’avais dû faire 3h06, par contre très difficile en récupération. Comme après un 100 bornes maintenant.
EC : 3h06 avec une meilleure marque sur semi qui était à l’époque de ?
FC : 1h30 environ.
EC : Donc des prédispositions à l’endurance (NDLR : 1h30 sur semi cela fait théoriquement 3h15 sur marathon). Et cela s’est passé comment, ce marathon des sables ?
FC : (Rires) Ca s’était super bien passé. Bien préparé, bien fini.
EC : En quelques mots le marathon des sables ?
FC : C’est 5 étapes pour 200 et quelques kilomètres, sur du sable, dans les cailloux, dans les dunes, très varié. Avec une étape de 76 kms qui m’avait marqué. 14 heures pour la parcourir.
EC : Marco était devant ou derrière ?
FC : On avait fini ensemble avec Marco. On avait décidé de la faire ensemble.
EC : Le marathon des sables à 26 ans… Comment tu te préparais ?
FC : J’étais dans un club à Auvers-sur-Oise dont le président était le beau-père de Marco.
C’était tout et n’importe quoi (rires). Je courais, je courais…
EC : Malgré tout, je crois que tu n’es pas un adepte des forts kilométrages ? Tu es partisan du moindre effort, si on peut dire.
FC : Oui, mon corps n’assimile pas les gros kilométrages et je dépasse rarement les 60-70 bornes par semaine.
EC : De fil en aiguille, tu arrives à Ambérieu Marathon, cela fait 5 ans, non ? Tu es un des coureurs de la 1ère heure !
FC : De la 2ème heure disons (rires)
EC : Et puis…
FC : Et puis, les marathons se sont enchaînés…J’ai fait pas mal de courses de montagne et des trails également.
EC : En quelque sorte, une transition vers le monde de l’ultra… C’est quoi l’ultra ?
FC : C’est l’ultra… On dépasse les 42 kms, on passe allègrement les 3 heures de course, 4 heures, 5 heures voire plus…
EC : Combien tu as fait de marathons au total ?
FC : Je ne sais plus ! En gros une quinzaine, entre un et deux par an.
EC : Tous en dessous de 3 heures ou presque ?
FC : Une grande partie, oui…
EC : A chaque fois avec un entraînement que tu lances…
FC : Sur l’année complète avec une préparation, quand je peux, un peu plus spécifique. Sur un mois ou deux. Le plus important est de courir régulièrement pendant les quatre mois précédents sans nécessairement encaisser de grosses charges. Autrement dit assurer minimum trois entraînements hebdomadaires sur cette période.
EC : Finalement, ton exemple est intéressant, car tu montres qu’il n’est pas besoin d’être un stakhanoviste de l’entraînement et avoir une rigueur implacable pour faire des perfs sur de l’ultra. Venons à ton 1er 100 bornes ?
FC : C’était à Château-Chinon le jour de la fête nationale 2001 sur un parcours que je croyais plat finalement, un an après j’ai su qu’il y a avait 1000 mètres de dénivelé.
EC : !!!!????? Ah bon ? Tu ne t’en étais pas aperçu ???
FC : Non, non, le chiffre je l’ai appris un an après ! L’équivalent de Millau (NDLR, la Mecque du 100 bornes). Carole était mon accompagnatrice.
EC : Un mot sur la préparation…
FC : Elle avait été exemplaire puisque j’avais pas mal fait de courses de printemps pour finir par le Tour de l’Ain par équipe, à fond. Une préparation dite « classique » de 100 km.
EC : Ca t’a bien réussi parce que tu fais 8h42 et 3ème au général si mes souvenirs sont bons.
Donc heureux ?
FC : Oui, c’était une bonne surprise.
EC : Et la récupération ? Comment tu as fait ?
FC : J’ai fait une coupure complète d’un mois sans quasiment courir.
EC : Et physiquement, pas de séquelles ?
FC : Pas sur le coup. J’ai repris l’entraînement avec sans doute trop d’intensité et puis six mois d’arrêt pour blessure.
EC : Tu as repris trop vite et trop tôt ?
FC : Trop tôt, je ne pense pas, mais avec trop d’intensité.
EC : Bien, cela, c’était il y a 4 ans et on en arrive à ce 100 km de Saint-Nazaire les Eymes, départ à 7h00 du matin. Mais cette fois-ci, ta préparation était un peu différente.
FC : Oui, complètement différente. Puisque pendant l’hiver, il n’y a pas de courses. Alors de Noël à début mars, cela a été un entraînement « à l’aveugle » sans courses, sans objectifs de vitesse. Une préparation uniquement basée sur l’endurance. Entre trois et cinq séances par semaine pour au moins trois sorties à 20 kms.
EC : Donc trois séances pour 60 kms pour monter jusqu’à 100 bornes.
Mais quand même, tu as couru les 20 kms du Grand Fond Bressan et tu y as fait une perf : 1h14. Donc, tu étais relativement frais à trois semaines de l’objectif…
FC : Oui, et sans travailler la vitesse. Ca montre que le travail d’endurance paye aussi.
EC : Il y a des 100 bornards qui font des préparations démentielles de 150 kms hebdomadaires. Toi, tu cours relativement peu finalement. N’est-ce pas là le secret de ta réussite ?
FC : Je ne sais pas… Chacun a ses capacités. Moi, je ne peux pas courir plus de toutes façons… Peut-être que j’aurais dû en faire plus mais c’est difficile de dire…
EC : On va voir que ça s’est plutôt bien passé.
FC : Je n’ai pas de plans d’entraînement écrits. Mon objectif était de courir un minimum de trois fois par semaine, donc être régulier, et courir le maximum à allure 100 bornes. C’est-à-dire 12,5 km/heure.
EC : Les jours précédents l’épreuve… Le stress, la pression ? On a pu s’en apercevoir sur le forum… En tous cas, on t’avait rarement vu comme cela !
FC : Oui, la pression a été importante….
EC : Alors venons-en à la course. En général, il est impensable de courir un 100 kms sans accompagnateur à vélo.
FC : C’est possible, c’est possible. Mais c’est mieux avec.
EC : Tu as donc été accompagné par ta 1ère supportrice qui t’avait déjà accompagné à Château-Chinon, qui est Carole…
FC : … qui était moins préparée également…
EC : Alors vous êtes tous les deux à 7h00 sur ligne de départ par une température glaciale pour l’époque…
FC : -2°C, c’est froid ! Mais bon, Carole bien habillée, moi un petit peu moins.
EC : L’objectif au départ ?
FC : Objectif haut : 8h20. Mais au moins, finir pour les supporters qui m’ont encouragé et si possible faire mieux que mes 8h42 (de Château-Chinon).
EC : Bon, avance rapide, tu passes la ligne d’arrivée vers 15 heures et quelques… sous le soleil. Quels sont les temps forts de la course ?
FC : J’ai quand même couru 2 kms avec Jean-Jacques Amoros. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est lui qui a gagné la trans-gaule 2004, de Roscoff à Perpignan, par étapes quotidiennes de 80 kms. Une référence… Au bout de 2 km, je ne sais pas ce qui lui a pris… il est parti.
Sinon, la course, le parcours, bien parce que c’est un tout petit chemin à faire 8 fois.
Jusqu’au 40 km, bien (NDLR : passés en 3h07). Sans pression de chrono, les jambes tournaient bien. Très régulier, bien dans l’objectif.
A partir du 40ème, les cuisses sont devenues toutes dures, très très très douloureuses. L’explication est toute simple : je suis parti en short et donc j’ai payé cette erreur jusqu’au 70ème km où ça été très très long…
EC : 30 kms très difficiles après être passé au marathon en 3h17… C’est de la folie ???
FC : Non, c’était le rythme pour une base de 8h00… Ca me faisait une petite marge de 10 minutes / 1/4 d’heure pour atteindre les 8h20.
EC : Comment cela se passe dans la tête, parce que 30 kms dans le dur…
FC : Dans le très dur !
EC : … Ca se vit comment ? On s’attend sans doute à ce que «ça revienne» à un moment donné, mais ce n’est pas programmé ces choses là ! Et puis, quand ça revient, c’est pas terminé, bref, à quoi tu penses ?
FC : Et bien, on pense à l’entraînement hivernal difficile. Je suis venu sur la course pour la faire, pas pour arrêter… Mais, il est vrai qu’on gamberge quand même pas mal. Est-ce que j’arrête, est-ce que je continue ? Carole est là, heureusement ! Manu et Lucas régulièrement au téléphone, ça aide. On sait qu’il y a du monde derrière qui attend le résultat donc je continue, je continue… et à partir du 70ème, je me dis qu’il ne reste plus que 30 et que là, il faut y aller jusqu’au bout quoi.
EC : Il faut dire que tes temps de passage (le fil de la course sur le forum du site www.amberieumarathon.org) montrent que tu étais encore aux 60-65ème km sur les bases de 8h09… après un passage en 3h55 au 50 kms. Ce qui veut dire que même en étant dans le « dur », tu gardais ta vitesse.
FC : Malgré tout, la douleur était super intense et je puisais dans mes réserves. A partir du 70-80, je commence à être un petit peu mieux, un petit peu plus en rythme et mieux dans la tête surtout. Là, j’avais la possibilité d’accélérer mais le mollet gauche était tendu, limite crampes…Donc, je ne pouvais plus allonger la foulée. La course devient technique : on fait parler le vécu, on fait travailler les bras. Je commence à m’accrocher pour finir en moins de 8h40.
EC : Le dernier tour, 12 km. Il y a ton « parrain » qui t’encourage ?
FC : Oui, mon parrain Romain, qui a 8 ans, d’une école de Saint-Nazaire, que je découvre avec son petit panneau « Allez Frédéric Crassin !» et là, je lui dit « à tout à l’heure, dans une heure !».
EC : Et donc, une heure plus tard, passage sur la ligne d’arrivée. J’ai eu Carole en direct au téléphone, moment émouvant. Cette arrivée, c’était comment ?
FC : C’est super. L’objectif était atteint sachant que c’était loin d‘être gagné.
EC : Tu t’assieds ?
FC : Non, impossible ! Si je m’assois, je ne peux pas me relever (rires) !
EC : Tu finis 10ème au général en 8h36 et des poussières, champion régional.
Le 1er termine en 7h13. Une cinquantaine d’abandons. Ca donne bien la mesure de la difficulté. Et maintenant, ton programme ?
FC : Récup, bien sûr ! Huit jours sans courir, peut-être quinze…Du vélo, de la natation.
Et puis, j’aimerais bien faire le marathon de Lyon (17 avril) pour accompagner quelqu’un sur les bases de mon 100 bornes. Mais il est encore trop pour le dire…
EC : Tu sais qu’on sera pas mal de coureurs aux alentours de 3h15-3h20, ce serait sympa que tu viennes !